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8 décembre 2016

Chapitre Premier ~ Les Feux des Drakones (Seconde Partie)

chapitre1-2
(Seconde Partie)

"Si l'on met le feu à ta maison, approche-toi pour t'y chauffer..."

 

Le village reposait dans une brume épaisse, trop compacte pour être naturelle. Dans les rues flottaient des effluves inconnues, l‘odeur d‘un matériau étrange qui brûlait. Les jumeaux, hors d'haleine, apercevaient çà et là dans la semi-pénombre des silhouettes en train de fuir, qui s'évanouissaient dans les ténèbres. Ils tentèrent de leur courir après en criant, mais ils ne parvinrent pas à les atteindre.

Les yeux larmoyants, ils discernèrent petit à petit ce qui ressemblait à des corps allongés. S'agenouillant près de l'un d'eux, le frère de Beryl constata avec horreur que la mort l'avait frappé. Une mort violente. Une grande plaie sanglante s'ouvrait dans la poitrine de la malheureuse jeune fille. Sur le visage pâle, aux lèvres bleues, se lisait encore une expression de pure terreur. Il se releva, le cœur plein de colère : qui avait bien pu commettre un tel crime ?

S'arrêtant devant d'autres cadavres, les macabres découvertes se multiplièrent. Ils avaient été passés au fil de l'épée pour la plupart, d'autres gisaient décapités… Beryl détourna les yeux et se mit à sangloter doucement ; son frère, choqué lui aussi mais décidé à ne pas se laisser aller à la peine, le prit par les épaules :

— Ecoute, c'est terrible… Je sais... — Sa voix tremblait. — Il faut trouver Fery...

Il choisit de ne pas révéler à son jumeau en larmes ses craintes, ses interrogations sur les auteurs du bain de sang qui s'étalait à leur pied. Il reprit Beryl par la main et se dirigea vers le centre du village et le temple. Plus ils avançaient, plus les émanations gazeuses les prenaient à la gorge, les faisant tousser et pleurer. Le frère de Beryl déchira de sa tunique un lambeau de tissu qu'il plaqua sur sa bouche ; il en fit de même pour son jumeau.

Il leur fallait faire de gros efforts afin de ne pas regarder trop longtemps les corps qui jalonnaient la route. Parfois, remplis d'espoir, ils s'arrêtaient près d'une silhouette allongée, qui, à cause de leur vision troublée, leur semblait avoir bougé, mais devaient à chaque fois goûter l'amère déception de s'être trompés.

Ils parcoururent une bonne centaine de mètres avant d'apercevoir, adossé à une maison, un homme vivant mais suffocant, qui se tenait l'abdomen des deux mains. Le frère de Beryl courut vers lui, trop heureux de découvrir un survivant. C'était un vieillard qu'il connaissait bien.

— Néphryth ! Qui t'a fait cela !? Que s'est-il passé ? Qui a perpétré ce carnage ?!

Tout en posant ces questions, il essayait tant bien que mal de stopper le sang du vieux Néphryth qui s'épanchait lentement, et appliqua de ses deux mains sur la plaie un tampon de tissu déchiré à la tunique de Beryl. Le vieillard n'avait déjà presque plus de souffle, mais il parvint à articuler, s'accrochant des deux mains aux vêtements du jeune homme penché sur lui :

— Krysos... Beryl... Le temple… ils nous ont… trouvés. Ils vont… la prendre… Krysos, vous devez… Fuir… fuir tout de suite…

Néphryth agonisait. Krysos, savait qu'il n'en avait plus pour longtemps, et que ses efforts pour le maintenir en vie étaient vains, mais il devait lui demander encore une chose :

— Néphryth, je t'en prie, reste avec moi ! Dis-moi où est Ferypenda ! Est-elle… vivante ?

Il eut du mal à articuler le dernier mot, comme si la mort de sa mère adoptive, la grande prêtresse du Feu, était inenvisageable…

Les mains du vieux Néphryth se firent molles et retombèrent bientôt à son côté. Krysos se mordit la lèvre de dépit, conscient de n'avoir pas pu sauver cet homme, cet homme qu'il connaissait depuis son enfance, avec qui il avait tant discuté, tant marché, tant appris… Il croisa les poignets de Néphryth sur sa poitrine et regarda autour de lui afin de chercher un outil pour creuser une tombe. N'en trouvant pas, il baissa la tête avec découragement, dépité de devoir laisser le cadavre de son vieil ami se décomposer à l'air libre, et se contenta de lui murmurer un solennel "bon voyage".  

Il se releva en serrant les poings de frustration, et s'adressa à son frère :

— Je sais que tu as peur ; moi aussi. Mais nous devons aller jusqu'au temple, nous devons comprendre ce qui se passe. Je ne partirais pas d'ici avant de découvrir ce qu'est devenue Fery…

Surmontant sa terreur, Beryl mit sa main dans la sienne, pour lui signifier qu'il le suivrait où qu'il aille. Ils remirent leurs masques de fortune sur leurs visages et reprirent leur route, de plus en plus abattus.

Plus ils avançaient vers le centre du village, plus les cadavres s'amoncelaient : il y avait là autant de femmes que d'hommes, et même… des enfants. Certains portaient encore des outils de défense rudimentaires entre leurs doigts rigides, mais d'autres semblaient s'être faits faucher sans opposer la moindre résistance. Et ils ne pouvaient rien faire pour eux… L'idée de devoir laisser ces corps ici, dans leur tombe à ciel ouvert, répugnait les jumeaux. Mais des vivants avaient peut-être besoin d'eux.

Ils entendirent bientôt des sons métalliques retentir dans les rues proches devant eux : des bruits d'armes qui s'entrechoquaient. Krysos réalisa alors qu'il n'avait pas son épée. Il en ramassa une au hasard près de lui - d'une facture étrangère plutôt mauvaise -, s'attendant à chaque instant à tomber sur un assaillant assoiffé de sang. Il ne savait pas contre combien d'ennemis il pourrait défendre son frère, mais il était bien décidé à faire face autant que possible ; s'il devait mourir ici avec les autres, ce ne serait pas sans combattre. Avec prudence, il tourna au coin d'une rue, laissant son regard plonger au centre de l'esplanade principale de TigrEye.

Le spectacle le cloua sur place : des hommes portant de légères armures dorées massacraient ce qui restait de la population. Des prêtres surtout, mais aussi des villageois, tentaient tant bien que mal de se défendre en utilisant comme arme tout ce qui se trouvait à leur portée. Mais les habitants de TigrEye n'étaient pas des guerriers. Jamais ils n'avaient eu à repousser une telle sauvagerie.

A la vue des corps jetés en tas avec indifférence, les sens de Krysos se brouillèrent. La rage si familière, toujours au rendez-vous quand il sentait l'appel du combat, l'envahit. Son sang commença à bouillonner violemment et amena avec lui son cortège habituel de sensations fortes ; ses muscles se tendirent, sa mâchoire se contracta, ses yeux rouges se plissèrent pour davantage d'acuité... Il serra la poignée de l'épée ébréchée et s'apprêta à voler au secours d'une pauvre prêtresse, poursuivie par un soldat. Au moment où il se jetait sur l'agresseur il entendit dans sa tête l'appel lancé par Beryl, qui le suppliait de ne pas se battre, de ne pas l'abandonner. Il ralentit son geste une fraction de seconde, mais le cri de la femme fut le plus fort sur le moment. Il abattit sa lame sur l'ennemi, tranchant dans l'os la partie de son corps que sa piètre armure ne protégeait pas entièrement. L'homme s'écroula sans un hurlement, toujours aussi anonyme qu'un instant plus tôt.   

Krysos n'avait jamais encore ôté la vie d'un humain. Il fut surpris de la facilité avec laquelle il avait effectué cette action. Il ne ressentait nulle peur, nul regret de l'avoir fait. Le guerrier retourna le corps avec son pied. Son armure, bosselée et de mauvaise fabrication, portait un insigne qu'il ne reconnut pas : un soleil symbolique aux multiples rayons. La jeune prêtresse, qui n'avait pas dû distinguer son sauveur dans l'épaisseur du brouillard qui régnait dans cette zone, s'était enfuie.

Krysos revint auprès de son frère et le mena un peu plus loin, avec encore plus de prudence car les bruits de combat redoublaient. Les silhouettes des meurtriers et des victimes se mêlaient confusément dans la pénombre mortelle. Encore une fois, malgré les supplications de Beryl, Krysos se jeta dans la bataille et tua quelques autres assaillants. Ses leçons d'escrime basiques, qu'il avait considérées au départ comme un simple passe-temps, avaient porté leurs fruits. Cependant, il arrivait en général trop tard : les soldats qu'il abattait - hélas ! en si petit nombre - avaient déjà fait leur lot de morts. Il ne put sauver personne, se contentant dans sa tristesse mêlée de fureur, de rendre aux bourreaux la monnaie de leur pièce. Enfin, découragé, bouleversé, sa rage l'abandonnant petit à petit, il s'accroupit au milieu des monceaux de morts et laissa ses larmes couler.

Qui étaient-ils ? Pourquoi avoir fait cela ? De quoi étaient coupables ces gens pour mériter pareil châtiment ?

Beryl le rejoignit et posa sa main tremblante sur son épaule. Krysos ne sut plus quoi faire sur le moment : devaient-ils continuer et risquer la mort à chaque mètre parcouru ? Y avait-il une chance que Ferypenda soit vivante ? L'idée de leur mère adoptive aux prises avec ces monstres les torturait… Combien de temps s'était écoulé depuis qu'ils avaient pénétré dans le village attaqué ? Dix minutes ? Trente ? Une heure ? Ils ne s'en souvenaient plus, et leurs gorges irritées les faisaient souffrir.

Le parvis semblait désert à première vue. Comme dans les rues adjacentes, des cadavres par dizaines jonchaient les pavés, éclaboussés de sang. Des lueurs dansantes se reflétaient sur les façades des maisons. Un silence pesant régnait sur ce spectacle de ruine. Mais Krysos, caché avec son frère derrière un pan de mur, remarqua sans peine les soldats qui faisaient les cent pas devant le temple. Le temple…

Des langues de feu virulentes commençaient à en sortir, par les portes fracassées et jetées bas ; les flammes tambourinaient sur les fenêtres comme des poings désespérés. Au milieu de cet enfer, une silhouette émergea du bâtiment sacré, lentement, comme si la proximité du danger ne l'effrayait pas. Elle s'arrêta sur le parvis, et un instant, Krysos aperçu dans sa main un éclat rouge, qui pulsa quelques secondes avant de disparaître. L'inconnu portait une légère cuirasse dorée, avec les mêmes insignes que les autres soldats. Un souffle de vent chaud venu du temple souleva une lourde natte de cheveux blonds, qui sortait de son casque comme un cimier. Son visage était caché mais Krysos comprit que c'était une femme ; il discerna alors mieux les formes féminines de son armure…

La haine l'envahit encore. L'attitude de cette guerrière inconnue était la dernière insulte qu'il pouvait endurer. Elle était responsable, il le savait : elle avait, d'une manière ou d'une autre, profané le sanctuaire, et volé quelque chose, comme Néphryth l'avait prédit. Mais quoi ?

Le feu sacré de TigrEye faisait rage dans le sanctuaire ; les flammes se tendaient vers l'extérieur, rampaient comme des serpents à la recherche de quelque chose à mordre. Déjà les pierres du parvis roussissaient sous leur assaut et bientôt elles se propageraient à tout le village. Ce feu dévorerait tout, le bois et la chair comme le métal et la pierre.

Krysos sentit sa fureur le porter en avant, lui dictant de trancher en deux cette femme monstrueuse. Mais la poigne de Beryl l'arrêta cette fois ; il reprit alors un peu ses esprits et considéra la situation : des gardes patrouillaient tout autour du temple, et sans compter la guerrière sur l'esplanade, il serait suicidaire de se mettre à découvert maintenant. Il ravala sa colère, serrant la main de son frère afin de se contenir.

La femme en armure dorée fit un geste à l'attention de ses hommes et ceux-ci se placèrent en rang. Elle descendit les marches du parvis, d'une démarche pleine d'assurance, comme si ce village lui appartenait. Elle se plaça près du soldat de tête, qui semblait l'attendre, et celui-ci lui parla :

— Il y a eu beaucoup de résistance, Madame, mais nous en sommes venus à bout. Ces paysans ne savaient pas se battre.

Elle répondit d'un ton de mépris :

— Ces chiens n'auraient pas dû nous résister. S'ils s'étaient laissés faire bien gentiment, ils seraient sans doute encore vivants. Qu'importe, nous avons ce que nous cherchions. En route !

La cohorte s'ébranla alors. Beryl et Krysos durent se contenter de les regarder passer, impuissants, toujours dans l'ignorance de l‘objet qui avait mené à ce bain de sang. Une fois seuls, ils se mirent à tousser frénétiquement : la fumée s'était faite plus dense et on ne voyait presque plus à un pas devant soi. Malgré tout, Krysos devait jouer sa dernière chance. Il se dirigera difficilement vers le temple en flammes, et amenant ses mains en porte-voix, il cria avec le peu de souffle qui lui restait :

— Fery ! Fery ! Où es-tu ?

Aussitôt, comme en réponse, un énorme craquement retentit et le toit s'affaissa sur lui-même. De gigantesques langues enflammées s'en échappèrent, enfin libres, et le vent les poussa en direction des maisons proches. Les habitations de bois s'embrasèrent immédiatement ; celles en pierre résistèrent plus facilement, mais le feu sacré aurait raison d'elles à la longue. Dans le brasier, des formes fantasmagoriques semblaient prendre forme, telles des têtes de drakones grimaçantes, arrachant de leur griffes et de leurs crocs ardents tout ce que les flammes atteignaient.

Krysos toussa douloureusement avant de se replier. Personne ne pouvait avoir survécu ici, pas même Ferypenda ; son Don la rendait insensible à la douleur, pas immortelle. Tout au plus aurait-elle pu échapper à un incendie ordinaire, mais à une telle fournaise déchaînée…

Les jumeaux se retirèrent dans un quartier voisin, assez loin de l'incendie qui continuait malgré tout de se propager. Bifurquant de nombreuses fois dans les ruelles, ils se retrouvèrent devant leur propre maison, une bâtisse de pierres solide. Ils y trouvèrent refuge et un air étonnamment plus respirable. Entre deux halètements, Krysos s'adressa à son frère :

— Nous devons faire ce que Néphryth a dit : nous devons fuir. Du reste, c'est ce que Fery aurait voulu. Tu te souviens de ce qu'elle disait souvent ? Que s'il devait arriver malheur au village, que si tout espoir était perdu, nous pourrions le recouvrer au nord ? Que nous devions suivre la Lune ? Alors, nous allons le faire, Beryl !

Beryl exprima son inquiétude, teintée de découragement. Krysos tenta de le rassurer, malgré sa propre incertitude : avait-il bien interprété les paroles de Ferypenda ? Était-ce ce qu'ils devaient vraiment faire ? Il se souvint de l'étrange attitude de la prêtresse ces derniers temps : quand elle sortait de ses transes, les sombres présages qu'elle avait entrevus se lisaient sur son visage… Avait-elle en partie prévu cette catastrophe ?   

Le crépitement des flammes se rapprochait. Krysos bondit à l'étage de la bâtisse et, entrant dans une chambre pourvue de deux lits accolés, il se laissa tomber à terre et fouilla sous l'un d'eux. Il se releva, tenant dans ses mains une épée enveloppée d'un linge blanc. Quand il redescendit, il remarqua que Beryl avait déjà rassemblé dans une besace le peu de nourriture qui se trouvait dans la maison : du pain et des fruits. Il le remercia de sa prévoyance par un sourire triste.

Les deux frères fuirent le village, se détournèrent à contrecœur de l'incendie qui s'employait à terminer son travail. Laisser brûler des cadavres était une tragédie, mais ils n'auraient pu se charger de les enterrer tous. Ils n'en avaient ni la force ni le temps. Les victimes ne reposeraient pas dans le sein de la terre dont-elles étaient issues, leurs chairs ne retourneraient pas à leur matrice originelle, aucune gemmes ne naîtraient de leur mort afin de rappeler leur vie…

Ils se retrouvèrent au pieds des Pics Volcaniques : aucun signe visible de la cohorte ennemie. Elle était sans doute bien plus loin, sur les pentes. Krysos sourit amèrement : on lui avait si souvent dit que les Pics étaient impossibles à traverser… Pas pour des hommes déterminés, visiblement. Et cela, dans un sens, lui redonna confiance. Si ces soldats caparaçonnés de fer avaient pu le faire, pourquoi pas eux ?

Beryl surprit sa pensée et prit peur. Son frère le rassura, tout en ne lui cachant pas la vérité.

— Je veux retrouver cette femme ! tonna-t-il. Il faut traverser ces volcans, et si personne de TigrEye ne l'a encore fait, je peux te jurer que nous seront les premiers !

Il leva les yeux vers les cimes qui ne lui avaient alors jamais paru plus menaçantes. Les montagnes pointues semblaient le narguer d'en haut, l'invitant à tenter ce que, il y a à peine quelques instants, il pensait impossible. Le Monde Extérieur attendait au-delà… un monde dont-ils n'avaient tout deux jamais entendu que de vagues rumeurs, toutes plus ou moins légendaires.

Le village était anéanti, son peuple massacré, et pourtant quelque chose tout au fond de lui le poussait en avant, accompagné du secret espoir de récupérer ce que les siens avaient défendu de leur vie. Ce serait le dernier hommage à leur rendre… Il leur fallait suivre la voie indiquée par Ferypenda, suivre la Lune… Krysos se croyait capable d'entreprendre cette ascension périlleuse, mais Beryl le supporterait-il ? Il était bien moins résistant que lui…

Sentant son trouble, le jeune muet lui prit la main et posa sa tête sur son épaule, mêlant sa chevelure brillante à la sienne. Ils tremblèrent à l'idée du périple qui les attendait.

 

http://gemminy0.wixsite.com/gemminy/lexique

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